La publicité au service de l'industrie automobile

Contre-publicité automobile
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http://brandalism.ch

L'association Résistance à l'Agression Publicitaire (RAP) a publié en Octobre 2024 un rapport édifiant sur la force de frappe publicitaire de l'industrie automobile et les récits qu'elle sous-tend. La publicité a construit le mythe culturel et social qu'est devenu la voiture et développe aujourd’hui l'illusion de sa soutenabilité. Il est aujourd'hui temps de se doter d'outils forts de régulation pour déconstruire l'hégémonie de la voiture et accélérer le déploiement de réelles alternatives de déplacement.

Les conséquences de la fabrication et de l'utilisation de la voiture ainsi que de la construction de son infrastructure routière sont aujourd'hui bien connues grâce notamment au développement des connaissances sur le sujet et l'amorçage d'actions par les pouvoirs publics. De très nombreuses alternatives de déplacement fiables, plus accessibles et plus optimales se développent également progressivement. Nous aurions donc toutes les cartes en main pour décider ensemble de la façon de sortir de notre dépendance au tout-automobile et des alternatives à mettre en œuvre ? C'est bien évidemment sans compter sur le rôle insidieux joué par la publicité pour magnifier l'image de la voiture.

Car la publicité, si certain·es pouvaient encore en douter, ça marche très bien. Le rapport du RAP met en exergue les moyens colossaux mis en œuvre par les industriels automobiles pour promouvoir leurs véhicules. Ces dernières années en France, le secteur automobile truste chaque année la deuxième ou troisième place des secteurs d'activité investissant le plus dans la publicité (la distribution étant première). L'argent investi correspond à un montant de 1516 € par véhicule vendu, répercuté au final sur les consommateur·ices, qui surpasse très largement les montants liés à la promotion des mobilités douces (marche, transport en commun, vélo…).

La publicité conduit également la clientèle à dépenser plus d'argent en promouvant des modèles de voitures beaucoup plus high-tech et surtout beaucoup plus gros que par le passé, contribuant à la flambée des prix du neuf et de l'occasion. Le SUV incarne parfaitement cette dérive vers des véhicules surdimensionnés dans tous leurs aspects, les constructeurs en profitant également pour surdimensionner leurs marges sur ces modèles dont l'incompatibilité avec les défis environnementaux ne fait aucun doute. En 2022, 45 % des investissements publicitaires de l'automobile concernaient des SUV et cet investissement paye : une étude au Royaume-Uni a montré que l’exposition d'une population aux publicités de SUV augmentait significativement ses achats et son désir d'acheter de tels véhicules. En parallèle, une autre étude britannique a montré que la promotion incessante de la voiture effaçait les efforts de campagne du gouvernement sur les modes de transport plus durables, ce qui montre d'autant plus que pour favoriser la transition des mobilités, il faut moins de voitures et moins de publicité.

Et c'est bien ce qu'avaient compris les membres de la convention citoyenne pour le climat en 2019 qui préconisaient l’interdiction de la publicité pour les produits les plus polluants et notamment les voitures les plus émettrices. Au lieu de ça, le gouvernement a préféré mettre en place un dispositif d'autorégulation du secteur automobile par l'intermédiaire des "contrats climat" dans lesquels les industriels pouvaient s'engager à diminuer les publicités pour les véhicules ayant les impacts les plus néfastes pour l'environnement. L’Arcom, en charge du suivi du dispositif constatait quelques temps après que « la plupart des engagements sont trop peu ambitieux face à l’impératif d’une prise en compte des enjeux environnementaux dans les communications commerciales » et « qu’une proportion significative d’engagements n’est pas accompagnée d’indicateurs de suivi pertinents » dans des contrats climat dont les objectifs restent globalement flous et non contraignants.

Pire, les engagements des industriels au travers des contrats climat ont contribué à développer l'écoblanchiment du secteur : dans la publicité d'abord où notamment à partir de l'étiquette de classement CO2 les industriels valorisent un véhicule dont l'impact carbone semble faible (le classement des voitures dont on peut faire la publicité ne dépassant pas la note C sur une échelle allant de A à G). Cet affichage reluisant ne prend évidemment pas en compte l'intégralité du CO2 émis sur tout le cycle de vie de la voiture ni les autres externalités négatives environnementales, exemptant ainsi les industriels de valoriser des véhicules plus petits, plus sobres et réellement meilleurs sur tous les aspects environnementaux. Les contrats climat permettent également aux entreprises de s'engager dans des actions bénéfiques mineures (mise en place de recyclage dans leurs locaux ou objectif non contraignant et absurde de neutralité carbone de leurs activités) afin de montrer patte verte, mais sans remettre en cause leur action publicitaire. Le dispositif est donc totalement inefficace et contourné sous toutes ses formes, l'empêchant ainsi de porter atteinte à la valorisation des véhicules les plus polluants. Ces résultats sont d'autant plus décevants que le transport reste un des secteurs dont la décarbonation est la plus lente, alors que son impact climatique, mais aussi sanitaire, écologique et social est un des plus importants.

Ainsi, afin de maîtriser la publicité automobile et faciliter la transition des mobilités vers moins de voitures et des voitures plus sobres, le RAP préconise dans son rapport quelques mesures :

  • L’interdiction de toute propagande ou publicité, directe ou indirecte, par tous moyens et sur tous supports, ou de toute opération de parrainage et de mécénat ayant pour objet la publicité en faveur de tout véhicule terrestre à moteur supérieur à 270 kilogrammes, à l’exception des véhicules dédiés aux services de transports en commun
  • Que soit considérée comme propagande ou publicité indirecte la propagande ou publicité en faveur d’un organisme, d’un service, d’une activité, d’un produit ou d’un article autre qu’un véhicule terrestre à moteur qui, par son graphisme, sa présentation, l’utilisation d’une dénomination, d’une marque, d’un emblème publicitaire ou d’un autre signe distinctif, rappelle un véhicule terrestre à moteur. “

Une régulation peut faire émerger d’autres récits qui changeront nos habitudes de déplacement et transformeront notre territoire pour diminuer notre dépendance à la voiture.  L’influence des industriels automobiles conférée par la publicité et leur force de lobby sape depuis de longues années les efforts mis en œuvre pour rendre les mobilités plus durables. Il est désormais temps de réguler le secteur par une autorité forte et indépendante afin d’inverser le rapport de force culturel et réellement s’engager en faveur de transports justes et durables.

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